Vert...
L’enfer vert se dressait devant lui. Les arbres s’élevaient jusqu’aux cieux. Le soleil pénétrait à peine ce mur de végétation. Dans l’épaisseur de
la forêt, ils scintillaient plus d’yeux que de gouttelettes d’eau après
une pluie tropicale.
Nuaj se déplaçait en posant, l’une après l’autre, chaque plante du pied
à plat sur le sol, attentif au moindre bruissement de ce paysage sonore. Tous ses sens s’étaient inversés, il voyait avec ses oreilles, touchait
des yeux et humait l'air avec ses mains. Il vivait dans une autre
dimension depuis son initiation. Le rite avait marqué le passage du
garçon à l’homme qu’il était devenu. L’épreuve avait été terrible.
Abandonné, les yeux bandés, pieds et mains liés, livré aux bêtes
sauvages qui rôdaient tout autour, il devait sa survie à un cri. Un cri
surhumain sortit de ses entrailles et du fond des temps. Il avait hurlé
à faire trembler la terre, cette déesse maternelle et sacrée, qui
l’avait laissé en vie. Il s’était épuisé dans toutes les contorsions de
son corps et avait réussi à se libérer de ses liens grâce à ses muscles
endurcis. Il faisait presque nuit lorsqu’il avait ôté le bandeau de ses
yeux. Il crut voir deux lumières, deux pierres d’ambre et pensait avoir
la fièvre ou être la proie d’hallucinations.
Il se confectionna un hamac avec quelques feuilles de palme et une
liane où il s’endormit au milieu d’une cacophonie effrayante. Cette
nuit-là, comme toutes les autres nuits, il rêva. Dans ses rêves, il
avait accès à la connaissance, tout lui était révélé. Cette nuit-là, il
marchait dans la forêt qui s’ouvrait devant lui, il percevait l’issue
et se dirigeait dans les ténèbres sans hésitation. À ses côtés, une
silhouette glissait furtivement dont il sentit le souffle sur ses
jambes.
Le souffle était remonté à son front, suivi du contact humide d’une
truffe. Il entrouvrit les yeux et vacilla du rêve à la réalité.
Immobile et consentant, au-delà de toute peur, il reçut le baiser de la onca negra, la panthère noire, son
animal totem dans le monde des vivants. Son cœur se dilata et il crut
mourir d’émotion. Cette scène se déroula sous le regard fixe d’un
magnifique anaconda jaune et luisant. Les couleurs de la nature se
déployaient du noir au blanc, en passant par les couleurs de
l’arc-en-ciel qui se reflétait sur la cascade.