Une infinie consolation…
Festival Étonnants Voyageurs – Saint-Malo – Mai 2004
Rotonde Surcouf – Palais du Grand Large
Carnets nomades (France Culture)
Je suis arrivée en retard. La salle était comble. J’entendais une voix.
Je me suis assise par terre, dos à la mer, en face et loin de celui qui parlait.
J’ai écouté l’histoire de son étonnante vie de « nègre blanc », comme il le disait, de son attachement à Haïti, sa « terra dolorosa », de son amour pour sa « princesse » de mère qui l’a enfanté à quatorze ans après le viol commis par un riche et vieil américain pris d’un « démon de minuit ».
J’étais bercée et sans défense par cette voix chaude et profonde, parlant un français parfait avec un accent coloré et racontant sa vie avec tant d’émotion. J’ai commencé à pleurer tout doucement sans m’inquiéter, cela allait s’arrêter. Une demi-heure plus tard, la source était intarissable. Autour de moi, tous se sont levés, je me sentais si fragile. Certains se sont dirigés vers la gauche, les autres vers la droite. Et moi, je restais plantée au milieu, seule et en larmes. Au loin, il était là. Comme transportée par un raz-de-marée, je me suis retrouvée à ses côtés. Il ne me voyait pas, il parlait à une jeune femme qui m’a regardée. Il s’est tourné vers moi et il m’a vu. Je n’ai pas pu dire un seul mot. Il a ouvert ses bras, je me suis jetée dedans. Il les a refermés sur moi en me disant : merci, merci, merci !... Cela a duré une éternité... Il a rouvert ses bras. Je suis partie guérie après avoir reçue une infinie consolation...
J’ai cherché et j’ai demandé : « Qui est cet écrivain haïtien ? »
Quelqu’un m’a répondu : « C’est Frankétienne, le doyen des écrivains haïtiens mais aussi peintre, acteur…
Le lendemain, avec toute une foule qui était là pour l’entendre, j’ai beaucoup ri. À la fin, il nous a chanté une chanson vaudoue en mémoire de sa mère, prêtresse vaudoue.
J’ai quitté Saint Malo et j'ai débarqué à Paris avec dans mon baluchon, une infinie consolation et une belle dédicace :
« Au nom de tout ce qui nous rapproche. Pour la sensibilité qui nous permet parfois de flairer l’essentiel. »